SUR LES TRACES DE MES RACINES, DANS LA FORET EQUATORIALE.

Retour au village de mon père par Emilienne Efinda Tshibonge.

Le dernier jour de l’an 2005, le 31 décembre 2005, mes pieds foulent la province de l’Equateur 53 ans après la précédente visite. Enfin, Dieu a permis que j’accomplisse ce voyage. J’avais promis à mon père, quelques années avant sa disparition, de faire l’effort d’arriver au village d’origine

En provenance de Kinshasa, notre vol par la compagnie Air Kasaï, atterrit impeccablement à Lisala, chef lieu du District de la Mongala, sous un ciel bleu, après une escale de 30 minutes à Bumba. Contrairement à Bumba, la piste d’atterrissage est asphaltée. Il y a cependant de nombreuses fissures, sans doute suite à la guerre qui a sévi en ces lieux.

A l’extrémité de la piste, l’herbe gagne du terrain et sur la pelouse ainsi formée, on a déposé les bagages des passagers. Je récupère mes bagages, pénètre dans les modestes locaux de l’aérogare pour les formalités de l’immigration. J’examine avec attention la pièce qui nous accueille : tout est vétuste et mal entretenu. Quelques minutes plus tard, je me retrouve à l’extérieur où m’attend mon jeune cousin Elie.

Il est heureux de me voir. C’est depuis une semaine qu’il a quitté le village pour venir m’attendre à Lisala. Il n’osait pas trop y croire car c’était comme un rêve pour lui. Il m’affirme qu’au village personne ne croit à mon arrivée. Nous nous sommes annoncés tant de fois depuis des années qu’ils ont fini par être convaincus de ne plus jamais nous revoir !

« Pourras-tu supporter d’être conduite sur un vélo ? Nous n’avons pas de taxi à Lisala et le vélo est le moyen de transport le plus courant ici, » me dit-il. Cela m’est égal. A la guerre comme à la guerre. L’important pour moi est d’arriver à destination. Je suis prête à tout pour cela. Je me rappelle avoir utilisé ce même type de transport il y a plus de 20 ans pour traverser moins de 1 km de route qui séparaient dans le Sud-Kivu, le poste frontalier d’Uvira de celui de Bujumbura au Burundi. J’avais l’avantage d’être plus jeune et plus souple. Je me suis bien équipée pour la circonstance. Vêtue d’un jean, des baskets aux pieds, cela m’est aisé de monter à l’arrière du vélo que nous louons, sur le porte-bagages. Ce genre de transport est appelé dans la région « toleka ». Elie charge mes bagages sur son vélo et nous voilà engagés sur la route non macadamisée qui conduit vers la ville. Nous sommes à peine partis que mes genoux, qui ne sont plus habitués à l’exercice physique, me font déjà mal. J’espère que je vais tenir le coup. Par deux fois, nous nous arrêtons pour me remettre convenablement sur le porte-bagages. Nous dépassons le cimetière de la ville. Nos deux vélos, l’un derrière l’autre, avancent à un rythme raisonnable. J’ai peur de tomber. Avec tous ces vélos sur la route, sans un seul véhicule depuis notre sortie de l’aéroport, la ville a l’air bien pauvre, avec ses maisons vétustes et modestes.

Nous arrivons ainsi sur la petite route qui mène vers le couvent des Sœurs de la Compagnie Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, où nous attend avec impatience notre cousine, la Sœur Marie. Nous atteignons le couvent et sommes accueillis chaleureusement. Notre cousine est ravie, nous nous voyons pour la 1ère fois. Elle est très jeune et semble timide. Son sourire est éclatant. Après des rafraîchissements offerts par la congrégation, la Sœur Marie nous conseille de louer une chambre pour la nuit à la maison de passage de l’évêché, dénommée Emmeritat, à quelques mètres du couvent.

Nous parcourons à pied la petite allée qui mène vers l’évêché. Sur les quatre appartements qu’ils possèdent, un seul est libre. Il est bien propre, constitué d’un salon et d’une chambre. Dans un coin de la chambre, une douche avec au milieu un seau d’eau. Il n’y a pas d’eau courante à Lisala. La société d’exploitation d’eau a abandonné la ville depuis plusieurs années. Il n’y a pas non plus d’électricité. Les particuliers, économiquement forts, possèdent leurs groupes électrogènes. L’évêché a son groupe qu’il fait fonctionner à certaines heures de la journée. C’est la nuit du réveillon. Je la passe seule dans ma chambre. Pour moi, elle est magnifique car elle va me permettre de réaliser un vieux rêve.

Le premier jour de l’an 2006 se lève. Elie qui loge à la cité, chez une parente, est déjà là. Il me demande de me préparer pour le départ au village. Boso–Mosuka est le nom de notre village. Il est situé à plus ou moins 90 km de Lisala, sur l’autre rive du fleuve Congo, dans le secteur Boso–Ndjanoa, territoire de Bongandanga.

Deux voies sont possibles :

  1. Location d’un hors-bord, environ 60 $US, jusqu’au port de Mongana, à près de 20 km. Prendre ensuite la route, 31 km, jusqu’à Bosonzo, ensuite 68 km de route jusqu’à Boso–Ndjanoa, et enfin 9 km de route jusqu’à Boso–Mosuka. Pour le transport, il peut y avoir moyen de trouver place à bord d’un camion des sociétés d’exploitation de grumes. Cependant cela risque d’être un peu difficile, car nous sommes un jour férié, le 1er janvier.
  2. Location d’une pirogue, prendre le fleuve, d’abord jusqu’au port de Ngonzi– Rive, ensuite jusqu’au marché de Mandomba, ancien port, y passer la nuit, reprendre la pirogue jusqu’à Ngonzi–Terre, ancien port et puis continuer tantôt à pied, tantôt à vélo jusqu’au village. La route est abîmée et abandonnée depuis longtemps et aucun véhicule n’y passe.

    J’opte pour la seconde proposition qui va me permettre de découvrir les recoins de notre territoire. Incroyable ! Aucun bateau qui dessert notre secteur, aucune route de desserte agricole alors que l’activité économique de la province est essentiellement agricole ! Et dire qu’une bonne partie de sa forêt, d’où elle pouvait tirer des ressources, est déjà exploitée ! Il fait beau et doux et pendant que j’apprête mes bagages, Elie se rend à l’ancien port désaffecté de Lisala pour chercher un piroguier. Il revient quelques heures après. Cela n’a pas été facile. Nous voilà partis pour le port. J’ai ma bouteille d’eau et des galettes que j’avais amenées de Kinshasa pour la route.

    Il est 12h30’ lorsque nous prenons place à bord de la pirogue. Nos bagages ainsi que le vélo d’Elie sont placés à bord. La pirogue est grande et mesure environ 7 m. le pagayeur se fait appeler « maison mère ». Son coup de pagaie est remarquable, nous dit-il. Comme il n’avait trouvé personne pour l’aider à pagayer, Elie se propose de lui donner un coup de main jusqu’à Mandomba, second port que nous devons atteindre avant la fin de la journée.

    La journée est bien claire, la température douce. Je suis assise dans un fauteuil confectionné à la manière du terroir, à la place indiquée par le pagayeur pour éviter le déséquilibre. Nous quittons les abords du port et nous nous dirigeons vers le grand fleuve. C’est magnifique de voir au loin les immenses étendues de forêt de part en part. Nous laissons de côté la voie que les bateaux utilisent pour aller à Mongana, ancien siège de la société de culture de noix de palme, dont le siège se trouve actuellement à Bosonzo, dans le secteur voisin, Boso–Simba. Notre progression est lente. C’est le rythme de tous les voyages en pirogue. Je suis très excitée et je ne vois pas le temps passer. Nous croisons une embarcation échouée sur la rive et composée d’un immense radeau fait des grumes et où sont installés des passagers, sous des tentes plus ou moins rudimentaires, avec leurs biens (bagages, marchandises, porcs, chèvres…). Le bateau tracteur qui tirait le radeau a été amené à Lisala pour réparation. Il y avait déjà deux semaines qu’ils attendaient sur le fleuve, pour continuer le voyage sur Kinshasa ! Nous les saluons en passant et prenons quelques photos. Il y a bien sûr des femmes et des enfants sur le radeau.

    Vers 14h, nous arrivons à Ngonzi–Rive, à 9 km de Lisala, l’ancien port du territoire lorsque le chef lieu était Boso–Ndjanoa. Actuellement, le chef lieu du territoire a été déplacé au loin, à Bongandanga, occupé par l’ethnie Mongo, minoritaire.

L’orgueil et l’arrogance de l’ethnie Ngombé, majoritaire, ont joué en leur défaveur pendant la colonisation. C’est ainsi que, ayant farouchement et valeureusement lutté contre le colonisateur, envahisseur, les Ngombé ont préféré, lors de la reddition, envoyer vers les colonisateurs, pour les contacts, les Mongo, qu’ils dominaient. Ces derniers ont ainsi profité de la situation et ont donc tirés beaucoup d’avantages de la colonisation, au détriment des Ngombé.

Il y avait un bac qui assurait la liaison entre Lisala et Ngonzi – Rive. Lors de la rébellion de 1998, les militaires des Forces Armées Congolaises l’ont déplacé, dans leur fuite, à Mongana et les rebelles, qui ont occupé le territoire, l’ont à leur tour amené à Mbandaka, chef lieu de la province, tout comme a été amené tout le charroi automobile de Lisala. Nous accostons pour acheter quelques cannes à sucre pour redonner de l’énergie aux pagayeurs.

Devant nous s’étend une magnifique plage où viennent s’amuser les enfants, maigres pour la plupart, et où les jeunes filles et les jeunes femmes viennent nettoyer leur vaisselle ainsi que leur lessive. Quelle joie de vivre sur les visages de ces enfants ! Beaucoup d’entre eux, filles et garçons, sont nus et nous regardent candidement. Ils sont heureux de me voir prendre quelques photos. Des nombreuses pirogues sont rangées au port et beaucoup de jeunes enfants sont entrain de pêcher. Nous continuons notre voyage. La forêt trône toujours majestueusement de chaque côté du fleuve. Au loin, on me montre la localité d’Umangi située à 18 km de Lisala, d’où les ancêtres des Ngombé, en provenance du Tchad, avaient traversé pour entrer dans l’Equateur.

Le trajet qu’ils avaient emprunté était le suivant : Yakoma – Mobaimbongo – Bosobolo - Likimi – Binga – Umangi, en luttant contre les Ngwaka, groupement ethnique de ces localités et ensuite jusqu’à Moleko, appelée aussi Epeka (littéralement chute d’eau). Nous arrivons ainsi à l’endroit de la chute qui est en baisse de niveau à cause de la saison. Voilà une chute qui pouvait être exploitée pour donner du courant électrique à toute la contrée !

Au sujet de l’arrivée des Ngombé, on raconte cette anecdote : « Le grand chef Ekwa Embembo (Nkumu) et tous ceux qui lui étaient assujettis ont quitté le lac Tchad pour se diriger vers le sud. Ils s’installent à Banguo, aujourd’hui Bangui qu’ils vont ensuite quitter, attaqués et vaincus par les Soudanais, qui maniaient déjà l’arme à feu. Ils se divisent en 3 groupes.
  le 1er groupe prend la direction de la République du Congo (Congo- Brazzaville), du Gabon et du Cameroun
  le second groupe remonte la rivière Ubangui, passe l’affluent Uélé et s’installe à Aketi (les Babenza), dans la province Orientale
  le 3ème groupe s’oriente vers le sud : il traverse Libenge, Bosobolo, Bujala et le gros du groupe pénètre à l’Equateur, à Umangi. Dans ce dernier groupe, l’esclave du chef, accompagné de son chien de chasse près de Umangi, à Esanga, découvre un pont mystérieux, constitué d’une énorme pierre qui séparait deux rives du fleuve alors qu’il poursuivait un singe. Comme ce dernier avait traversé le pont, il fait de même, et le découvrit en haut d’un palmier, en train de manger des noix. Il lui tira un arc avec sa flèche et le singe, atteint, tomba du palmier. Comme il était tard, il décida de passer la nuit au pied du palmier. Au matin, il grimpa sur l’arbre pour couper des noix et comme il y avait également beaucoup d’arbres porteurs de fruits appelés en dialecte lingala « safu », (fruit vert charnu que l’on consomme après l’avoir trempé dans de l’eau chaude) il en cueillit également. Ensuite, il se fabriqua un panier dans lequel il plaça ses noix, ses « safu » et son singe et reprit le chemin de retour. Aidé de son chien, il retrouva sa route, retraversa le pont et rejoignit son chef. Il lui présenta son butin de chasse et lui fit part de sa découverte. Le chef, séduit par la qualité des mets, rassembla ses hommes, partagea le butin qui fut apprécié par tous. Ils décidèrent ainsi d’aller à la découverte de cette terre qui offrait des mets aussi délicieux. Tout le groupe se prépara et après avoir rassemblé leurs bagages, ils se mirent en route. Arrivés à la grosse pierre, le Chef fit arrêter tout le groupe et donna l’ordre de traverser sans se retourner. Oubliant la recommandation, une femme se retournera, en s’écriant qu’elle a oublié son « nzémbé », sorte de pagne fabriqué à l’aide du « yondo », écorce d’un arbre dénommé en dialecte molondo, écorce qu’on écrase pour la rendre malléable afin de transporter l’enfant au dos. Juste à cet instant précis, la grosse pierre se fracassa à l’endroit où elle se trouvait, et l’eau la sépara de ceux qui étaient déjà passés. C’est ainsi qu’une partie des Ngombé restera de l’autre côté du fleuve ».

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Juste en face de Lisala, on me montre Boso–Simba, un autre secteur (du territoire de Bongandanga). Boso–Simba, selon l’histoire des Ngombé, a une localité Boso–Adula, née de manière assez particulière. L’histoire des Boso–Adula, à l’origine Boso–Adulua, est très intéressante et mérite d’être connue.

« Adulua, jeune homme très intrépide, était un des fils de la notabilité de Ndjanoa. Il décida d’aller rendre visite à sa sœur qui avait contracté mariage dans la famille de la notabilité de Boso–Etunda (etunda signifie litoko ou natte). Il quitta donc Boso–Ndjanoa. Adulua était un surnom qu’on lui avait donné car avec sa lance tranchante, il tuait les éléphants en les transperçant à la base du cou. Lorsqu’il rentrait de chasse, il criait : « likonga limbai edulua–dulua ! », ce qui signifie : « ma lance a transpercé ! ». Arrivé chez sa sœur, il engrossa la fille aînée, la « somi », du frère de son beau-frère. C’était une injure pour la famille ! La belle famille entra alors dans une rage folle et mijota un complot pour l’éliminer.

Lors d’une chasse qu’ils organisèrent, ils lui demandèrent de construire une hutte de chasse. Adulua partit donc à la recherche des feuilles de la plante « kongo » encore appelée « macaroni indigène », feuilles dont on se servait pour recouvrir les toits des huttes. Ces plantes étant l’aliment préféré des éléphants, il trouva un éléphant reposant dessus. Avec sa lance, il lui transperça le cou et ensuite lui découpa la trompe. Il fit trois bottes des plantes « kongo » et dans une des bottes, il plaça un morceau de la trompe de l’éléphant. L’une après l’autre, il alla déposer les bottes au groupe de chasseurs qui découvrirent ainsi, dans l’une d’elles, le morceau de la trompe de l’éléphant. A cette vue, ils comprirent qu’il venait de tuer un éléphant, ce qui était quelque chose de remarquable. Lorsqu’ils lui posèrent la question, il leur donna sa réponse habituelle : « likonga limbai edulua–dulua ! ». Il alla leur montrer son trophée, découpa l’éléphant en deux, offrit la première moitié au père de la fille, et la seconde moitié à son beau frère. L’humiliation de la famille fut ainsi lavée et la belle famille abandonna le projet de le tuer et l’accepta pour gendre. Lorsque sa femme lui donna deux fils, il décida de rentrer dans son village de Boso–Ndjanoa, afin de présenter sa femme et ses enfants, comme il est de coutume. Ses frères, jaloux de la beauté de sa femme, l’empoisonnèrent. Il mourut, laissant ainsi sa femme et ses enfants dans sa famille. Un de ses frères, Ndjanoa, décida de prendre en mariage la femme. Cette dernière comprit qu’ils avaient lâchement assassiné son mari pour la posséder. Elle refusa, et avec ses enfants, reprit le chemin de son village. Accueillis par ses parents, elle s’installa et y éleva ses enfants. Lorsqu’ils grandirent, ils fondèrent à leur tour leurs familles, et la notabilité de Boso–Etunda, pour éviter un conflit entre les enfants, décida de donner à la famille de leur fille une grande étendue de terre, qu’ils appelèrent du nom de leur gendre, Adulua, soit Boso–Adulua ( = né de Adulua) devenu aujourd’hui Boso–Adula, un groupement autonome dans le secteur de Boso-Simba. »

La traversée est ainsi rendue agréable avec cette triste histoire d’Adulua. Vers 17h30’, on accoste à Mandomba, à 24 km de Lisala. C’est un ancien port, exploité aujourd’hui comme marché, du lundi au mercredi de chaque semaine. Il y a plusieurs huttes construites le long de la rive. La plus grande, à un étage, est une maison de passage ou hôtel, sur pilotis.

Mario est le nom du commerçant qui exploite une cabine téléphonique, à cet endroit car les antennes de téléphonie mobile installées à Lisala couvrent le port. Il se sert de la pile de 1,5 volt pour charger les batteries des téléphones portables. Contre 4 piles, vous pouvez avoir votre portable chargé au bout d’1h. En plus de la maison de passage, il est également propriétaire de quelques huttes échoppes qu’il loue aux commerçants les jours de marché. Je profite de l’aubaine pour charger mon téléphone et je fais quelques appels pour donner de mes nouvelles aux amis et parents. Nous prenons deux chambres à l’étage (tout est en bois massif et en bambous). Les chambres sont très étroites. A l’étage il y a 9 chambres et au rez de chaussée 4 grandes pièces. Il n’y a pas de toilette dans la maison. Lorsque je pose la question au propriétaire, il me répond qu’il y a la nature et l’eau du fleuve pour tous ces besoins là ! Nous installons nos moustiquaires, et alors qu’ Elie va rejoindre ses amis pour des longues discussions sur notre secteur, je m’allonge et, morte de fatigue, je m’endors profondément.

Nous nous levons très tôt matin, et nous trouvons notre piroguier déjà prêt sur la rive. Pour continuer notre route, nous adjoignons au piroguier deux jeunes gens pour l’aider à pagayer.

Vers 8h30’, nous repartons à bord de la pirogue. Il fait beau et les eaux du fleuve sont toujours calmes. On commence petit à petit à se rapprocher du but. Le paysage est pratiquement le même, tout est vert, c’est la forêt, toujours dominante. Nous accostons, en 1er, à Bombele, une station où les jeunes pagayeurs s’approvisionnent en alcool local « séssé », boisson extraite des plantes de raphia. Cela semble les stimuler. Ils sont tous heureux d’en ingurgiter une bonne rasade. Comme nous longeons pratiquement les abords du fleuve, nous faisons attention aux mouches tsé-tsé qui rôdent. Je prends la précaution de me couvrir d’un pagne. Je porte toujours mon jean de la veille, bien pratique pour le voyage. Vers 12h, nous arrivons à une autre station, dénommée « nganda oleka te », petite station marchande où les jeunes gens achètent des cigarettes. Nous continuons notre avancée en nous engageant maintenant dans un affluent du fleuve, à notre gauche, appelé rivière Bopako, du nom de la mission catholique Bopako, de la localité Boso–Molenge où nous nous dirigeons. Cette rivière, faute d’entretien, est envahie par une herbe épaisse qui rend difficile le passage. En amont, qui sera notre destination finale, dans la forêt de Boso–Mosuka, cette rivière porte le nom de Kandéli.

La pirogue doit se frayer le passage, et il faut continuer à éviter d’être piqué par les mouches tsé-tsé. Il faut aussi éviter des lianes et des troncs d’arbre penchés, sans doute déracinés, tandis que d’autres sont couchés dans la rivière. C’est donc au ralenti que nous avançons et au bout d’environ 45 min, nous arrivons au port de Boso–Ngebe, au marché Mobenzeno. En effet, du mercredi au jeudi de chaque semaine, un marché s’y tient. Notre voyage en pirogue se termine à cet endroit précis. Nous nous séparons de nos sympathiques pagayeurs qui nous aident à déposer nos bagages sur le rivage. Les bagages placés sur le porte-bagage du vélo, nous nous dirigeons à pied vers la grande route. Le voyage ne va pas être facile à partir d’ici. A Ngonzi–Terre, nous déposons nos bagages chez le chef de la localité. En effet il est impossible à Elie de me prendre avec les bagages à l’arrière du vélo. Elie est très connu ici depuis sa mésaventure avec les éléments de l’armée des forces de libération, AFDL en sigle, pendant la rébellion de 1998. On l’appelle par son nom traditionnel Enzenze. Nous prenons la route de Boso–Mayale tantôt à vélo, tantôt à pied, et le parcours est difficile. La route est mauvaise et chaque fois que nous arrivons à un pont, il faut parfois transporter le vélo pour passer. Nous arrivons ainsi au pont de Kabu–Kabu, où me précise Elie, notre grand père Nzémbé, alors 1er chef de la localité du groupement Bogbonga, avait été empoisonné.

Qui était-il, le grand-père Nzémbé ? « Guerrier intrépide, sa force était légendaire dans tout le patelin. On lui attribuait des forces surnaturelles. Ses ennemis trouvèrent l’occasion de le tuer en plaçant du poison dans une pipe qu’ils lui tendirent. Mon père l’accompagnait ce jour là. Ayant remarqué le manège des assassins, par des gestes, il essaya de prévenir son père. Bien qu’ayant compris le message, son orgueil cependant l’emporta car il se croyait invincible et la peur était pour lui une faiblesse. Il prit donc la pipe qu’on lui tendait et tira un coup. Le poison était foudroyant. Il mourut sur place. Suite à cela, toute sa vie, mon père ne pouvait supporter ni la pipe ni la cigarette. A cette époque, mon père avait déjà été évangélisé, en secret, avec les autres jeunes de son village, et lorsqu’il en avait parlé à son père, ce dernier lui dira de ne croire au Dieu des chrétiens que si, à sa mort, il ne revenait pas à la vie ! C’est ainsi que, après l’enterrement, il vint par trois fois, à l’endroit où on avait enterré son père, pour l’appeler et voir s’il allait revenir à la vie. Comme son père ne répondait pas, il abandonna et crut ainsi au Dieu des chrétiens. Il conserva sa foi toute sa vie ».

Je prends une photo du pont et des personnes qui s’y trouvent. Dans chaque nid de rivière ainsi traversée, vous trouvez des femmes en train de tremper le manioc pour la préparation de la « chikwange », pâte de manioc, qu’on enroule dans des feuilles de bananier. C’est une spécialité de la région. Nous arrivons ensuite au village de Boso-Eleko, et on entend au loin « Elios ! Elios ! », salutations auxquelles répond Elie tout en continuant à pédaler. La route est en très mauvais état. Il n’y a plus jamais eu de véhicules sur cette route depuis des nombreuses années. Mon attention est attirée par le nombre élevé des jeunes enfants maigrichons et souvent nus qu’on aperçoit devant les huttes. Ces dernières sont toutes construites de la même manière, en pisé, et quelques unes sont en briques adobes. Les signes de malnutrition sont visibles : ventre ballonné, cheveux lisses et presque roux. La contrée est pourtant agricole et poissonneuse. La population aurait besoin d’éducation nutritionnelle. A certains endroits, la route devient une véritable piste car complètement envahie par l’herbe et les jeunes plantes. Comme la roue arrière du vélo n’est pas munie des supports pour les pieds, mes baskets souvent s’accrochent aux herbes parce que les jambes sont ballantes de part et d’autre du vélo. Je n’ai pas besoin de vous dire combien la position est inconfortable et fatigante à l’extrême.

Il est près de 18h, la forêt commence à faire de l’ombre sur nous et je suis complètement épuisée lorsque nous arrivons enfin au croisement qui mène à Boso–Mayale ou Mayale I. Elie me l’annonça joyeusement. Nous nous engageons sur notre route et la 1ère bâtisse en pisé que nous apercevons est l’école créée par Elie et actuellement gérée par la communauté de l’Eglise Kimbanguiste dont il est membre. Nous progressons à pied pendant au moins 1 km à cause du sable qui bloque le vélo. Nous parcourons encore 2 km pour atteindre notre village de Boso–Mosuka ou Mayale II. Des lumières apparaissent, provenant des lampes tempêtes et des mèches plongées dans de l’huile. Des enfants, des adultes, tout le clan est là. Je ne savais pas que je trouverai une si grande famille ! Je regarde Elie, avec une interrogation dans les yeux. Il me sourit et dit : « Yaya (grande sœur), c’est notre famille. Nous avons été bénis car contrairement aux générations précédentes, nos frères et nos sœurs ont eu beaucoup d’enfants ».

Tout le monde veut me voir. On regarde avec curiosité celle qui vient de si loin ! Dans ces lignes je ne pourrai exprimer la joie des retrouvailles avec les membres de notre clan, en particulier la cousine germaine de mon père, la dernière survivante de sa génération et les deux aînés du jeune frère de mon père, Bolongo Lengo Elia, avec lesquels nous avions passé les dernières vacances de mon père au village 53 ans auparavant ! Je n’avais alors que 2 ans ! Des larmes de joie, des appels aux esprits de nos ancêtres, des cris de joie fusent de partout et enfin des louanges sont rendues au Dieu d’Israël qui a permis cette rencontre. Ensuite deux jeunes frères d’Elie sont chargés d’aller récupérer les bagages laissés en chemin.

« Mon père, Efinda Stéphane, Likakama Lopopi Awaji (nom d’origine = Ephinda, transformé par les colonisateurs en Efinda) était le 3ème enfant de son père Nzémbé. Il était très attaché à son père qu’il vit mourir, empoisonné alors qu’il était très jeune. Quelques temps après le décès de son père, un de ses frères meurt, et c’est ainsi que la famille, craignant également pour lui, l’éloignera momentanément du village. Il se rend à Coquilatville, actuellement Mbandaka. Lorsque le colonisateur recrute pour différents métiers, des jeunes de l’Equateur, réputés courageux, pour les amener avec eux à l’Est du Congo. C’est ainsi qu’il est pris comme aide pharmacien pour la province des milles collines, le Kivu. Il arrive au chef lieu, Costermansville, devenu Bukavu, et c’est là qu’il rencontrera les femmes qui partageront sa vie. Converti depuis le village au protestantisme, il est surpris, à son arrivée, de trouver partout dans la ville des statues de la Vierge Marie. La ville est presque exclusivement catholique. Il s’informe et apprend qu’il n’y a pas de communauté protestante. Il se rend alors à Cyangugu, au Ruanda (le pays est à l’époque Congo Belge et Ruanda – Urundi) où les missionnaires suédois ont installé leur église, à la mission de Gihundwe. Il les amène à Bukavu où ils créent ainsi la 1ère église protestante du Kivu, qui est aujourd’hui l’Eglise Sayuni de Bukavu, de la Communauté des Eglises Libres de Pentecôte en Afrique, CELPA en sigle. Il est décédé à Bukavu en novembre 1996, quelques jours après l’occupation de la ville par l’Armée des Forces de Libération, l’AFDL, ».

Ensuite, des ordres sont donnés pour notre dîner et pour l’eau nécessaire pour le bain. On prépare aussi ma case. C’est une case neuve construite par un neveu qui m’est destinée. Elle est composée d’un salon et d’une chambre à coucher où trône un grand lit en bois massif et recouvert de natte. Une toilette indigène ainsi qu’une place de bain, dont le sol est recouvert de petits trocs d’arbres, toutes les deux nouvellement installées, clôturées de palmes et à toit ouvert, se trouvent à quelques mètres de la case et me sont réservées. Elie assure ma sécurité dans la case. Il se couchera sur une natte, à même le sol, dans le petit salon. C’est le lendemain matin que j’examine avec attention la propriété. Elle est très vaste. Chacun des enfants mâles y a sa case. Il y a près de 7 cases en pisé et une autre, en brique adobe, est en construction. Nous avons même une rivière qui longe la propriété vers l’extrémité droite. A l’entrée de la propriété, on me montre la tombe de notre grand père Nzémbé et de sa 1ère femme, ma grand-mère. On me montre également l’endroit où se trouvait la case du grand père, juste à l’arrière des autres cases, sur un endroit surélevé. Ainsi situé, il domine la grande route. Il est présentement envahi par la forêt. C’est là que j’aimerai qu’on nous réserve la place pour mes frères et moi. Le domaine est immense. De l’autre côté de la grande route, juste en face de l’endroit où nous habitons, se trouve aussi une grande propriété nous appartenant et où Elie a commencé la construction d’une école. Cela pourrait être l’endroit idéal pour installer un petit centre de santé. Voilà que je me prends à rêver …

Pendant deux jours, se sont succédés pour me saluer, les autres membres de notre famille, habitant Boso–Mosuka, Boso–Mayale, Boso–Kakala. Toute la notabilité de notre village, constituée par les Nkumu (= Chef) : Mosuka, Mayale, Njapo, Eboma, Mbolwa ainsi que les Somi (= Aînés) : Linganga, Banga Monzo, Bosili, Dongo, Libomba, Mopese, Motutia, Linganga Ebenga, est également venue pour accueillir dans les règles ancestrales son enfant. Les ancêtres du clan Njapo, le nôtre, se sont distingués des autres car ils étaient des guerriers notoires. « Notre ancêtre Endondo Ewango, guerrier remarquable, avait quitté Boso–Ngebe, notre localité d’origine pour suivre sa sœur, mariée à un des enfants du notable Mosuka, à Boso–Mosuka. Comme il était très valeureux, il aida, de façon remarquable, le notable Mosuka dans sa lutte contre les conquérants de l’ethnie Mongo. Après avoir emporté la victoire, le chef Mosuka lui attribua une portion de forêt, qu’il renforça et qui est le domaine du clan Njapo. Le nom de Njapo lui avait été donné à cause de ses exceptionnelles qualités de guerrier. Njapo, en dialecte ngombé, est le nom d’un arbre dont on utilise l’écorce comme natte. Lorsque l’arbre meurt, il est utilisé pour le chauffage et lorsqu’il est allumé, il ne s’éteint pas avant qu’il ne soit entièrement consumé. Un de ses descendants portait le nom d’Endondo Bolongo. Ce second nom de Bolongo signifie également arbre. Cependant, c’est un arbre épineux dont les épines restent tranchantes après la mort de l’arbre. Il était ainsi appelé à cause de son caractère colérique. »

Quelques générations plus tard, c’est le jeune Elie Enzenze Bolongo, celui qui me guide dans ce voyage, le fils du jeune frère de mon père, qui se distingue dans la famille. Très farouche il a hérité des qualités d’Endondo. Il a été miraculeusement sauvé des griffes de l’Armée des Forces de Libération pendant la rébellion où des exploitants de grumes, mécontents de ses interventions pour une meilleure prise en compte des intérêts des autochtones, l’avaient livré comme agent de Mobutu Sese Seko, l’ancien dictateur, l’ennemi à abattre.

« Ligoté et dévêtu complètement au marché de Mobenzeno, à Boso-Ngebe, et ensuite torturé, puis amené à Monjolongo à l’Etat-major de l’armée, où il a failli être tué par balles, il fut finalement relâché, faute de preuves. Sérieusement battu et blessé, il était affaibli et sa vie était en danger. C’est ainsi que la même armée l’enverra en soins médicaux à Kinshasa. Grâce à l’intervention du Président Mzée Laurent Désiré KABILA, on lui permit de porter plainte contre la société d’exploitation, responsable de ces sévices et des avocats Pro Deo désignés se chargèrent du dossier qui pourtant est resté sans suite à ce jour. Rentré dans son village, la 2ème guerre de 1998 l’y trouve. Après cette guerre, il continue sa lutte contre les sociétés d’exploitation de grumes qui ont sans convention avec les autochtones, coupé des milliers des grumes dans notre forêt de Boso-Mosuka. Chargé par la notabilité de défendre les intérêts du village, il revient à Kinshasa en 2003 et toutes ses tentatives pour trouver une solution avec la société concernée sont restées vaines. Alors que le 1er dossier est resté sans suite, il amène l’affaire en justice depuis 2005. Sans moyens financiers pour engager les services d’un avocat, il se défend seul. Débouté par la justice pour défaut de qualité, il va en appel et le procès est programmé pour le mois de mars 2006. »

Aujourd’hui, tout le secteur a perdu la plus grosse partie de sa forêt sans qu’il y ait eu un quelconque développement. Nous continuons notre conversation et la notabilité me confirme son appui à Elie ainsi que sa qualité de porte-parole. Elle reconnaît que leur fils Elie lutte pour la collectivité depuis près de 10ans et qu’il a failli à plusieurs reprises perdre la vie. Elle précise que c’est la misère et les intimidations des responsables politico administratifs qui l’a poussée à signer la convention du mois d’avril 2005, dont tous les termes ont été dictés par la société d’exploitation alors que le procès contre la même société était en cours. C’est assez clair que la satisfaction des besoins de ces responsables était leur seule préoccupation et l’intérêt de la communauté ainsi sacrifié.

Nos notables réunis me demandent ensuite des renseignement sur l’ordonnance présidentielle du 24 octobre 2005 qui suspend pour trois mois les permis d’exploitation en attendant leur renouvellement aux nouvelles conditions. Je leur confirme l’information et leur demande de ne plus rien signer afin de préserver ce qui nous reste comme forêt, parce qu’il faudra renouveler également des conventions précédemment signées. En effet, le secteur de Boso-Ndjanoa risquait bientôt de se trouver en difficulté parce que non seulement la forêt lui procurait l’essentiel de son alimentation, mais aussi protégeait l’écosystème en procurant un environnement sain. L’apport des sociétés d’exploitation des grumes étant insignifiant, le problème de manque de route et celui de manque de moyen d’évacuation des produits vivriers et de la non réhabilitation des ports étant restés entiers, la préservation du peu de forêt qui reste est donc vitale pour tous. Ensuite les notables posent le problème essentiel d’hôpital. Le plus proche, l’hôpital de PIMO, se trouve à près de 45km du village. Il leur faut donc un centre hospitalier dans le village et la possibilité d’avoir des médicaments sur place.

La pluie qui est tombée toute la journée de mercredi 4 janvier m’empêche d’entrer dans notre forêt de Njapo, la plus vaste de l’ensemble de la forêt de Boso-Mosuka. Au soir, les notables me remettent, dans une brève cérémonie, des cadeaux en nature, me souhaitant un bon retour et espérant me revoir pour entamer le développement du village. Le lendemain, à 5h30 du matin, 3 vélos sont prêts pour le voyage de retour. Deux neveux nous accompagnent sur 2 vélos pour transporter les bagages et quelques vivres, dont un porcin et trois coqs, pour la route jusqu’à Ngonzi-Rive, à 76km du village. Elie et moi, sur le 3ème vélo. Nkumu Njapo, mon cousin et frère aîné d’Elie, et sa mère nous accompagnent jusqu’à la sortie de notre domaine. Elie monte sur le siège et moi, je m’installe sur le porte-bagages. Je le tiens fermement à la taille. Il commence à pédaler. Le sol est encore mouillé, nous avançons péniblement. Je pèse lourd, cela ne doit pas être facile pour Elie de pédaler. Après quelques 3km nous atteignons Boso-Mayale et ensuite, nous arrivons à la sortie. C’est fini, nous sommes déjà sur la grande route. Le séjour a été trop bref, c’est vraiment dommage. Nous nous arrêtons régulièrement pour traverser à pied les ponts abîmés. Cette route existait déjà au temps colonial et les différents régimes qui se sont succédés ne l’ont pas entretenue. Nous dépassons ainsi les villages de Boso-Eleko, le pont Boso-gbale, le pont Kabu-kabu. Chaque fois que nous traversons une rivière, on trouve des femmes en train de tremper du manioc pour la préparation de la chikwange, la pâte locale qu’on enveloppe dans les feuilles de bananier. Ce n’est qu’à 9h que nous atteignons la bifurcation dont la sortie à gauche mène à l’hôpital de Pimo, l’hôpital le plus proche, situé à plus au mois 45km de notre village et la sortie à droite doit nous conduire à Ngonzi-Rive, en passant par le port abandonné. Quelques mètres plus loin, nous sommes à Ngonzi-Terre, saluons au passage le chef de localité.

Nous nous arrêtons quelques instants au marché pour souffler un peu et manger des bananes sucrées : elles sont une spécialité pour le coin. Pendant la vingtaine de minutes que nous passons là pour nous reposer, nous enregistrons des plaintes sur l’absence d’une officine pharmaceutique où la population pourrait s’approvisionner en médicaments, Un chef de localité se plaint également du fait qu’aucun responsable du secteur ou du territoire ne passe en tournée pour recevoir les doléances de la population. Nous repartons ragaillardis. Comme mes jambes pendantes supportent mal les secousses provoquées par le mauvais état de la route, je décide alors de m’asseoir plutôt à califourchon, et cela semble plus supportable. Le coin est complètement abandonné, la population se débrouille tant bien que mal. On nous prévient qu’avec la pluie de la veille, nous devrions passer un pont en pirogue ! Cette route est la seule qui conduit à Ngonzi-Rive, et elle se trouve dans un état déplorable. Plus un seul véhicule ne passe par ici ! Nous traversons successivement 6 ponts et à chaque fois, il faut transporter les trois vélos. Nous arrivons à l’endroit du passage par pirogue (le niveau de l’eau arrive au niveau des cuisses !) et il faut deux voyages pour tout notre convoi. Juste à la droite, un immense lac s’est formé et on aperçoit des jeunes enfants en train de pêcher. Elie me transporte sur son dos pour le passage du pont suivant parce que l’eau arrive au niveau des mollets. Nous traversons successivement Boso-Ngebe, Boso-Molenge, les dernières localités de notre groupement de Bogbonga. Le « Nkumu » de Boso-Molenge est la famille régnante du groupement de Bogbonga, dont nous faisons partie. C’est lui qu’on appelle en dialecte ngombé « SOMI ». Celui de Boso-Mosuka arrive en 3ème place après celui de Boso-Mayale. Nous entrons alors dans le groupement de Boso-Kema. Nous arrivons ensuite à un grand pont métallique dégarni déjà de la plupart de ses éléments et comme nous voulons encore nous reposer et nous restaurer, nous nous arrêtons au dispensaire de Boso-Njomokina. A ce centre, le chirurgien responsable s’est formé sur le tas, et n’a parait-il, aucune formation médicale. Après 30 minutes de repos, nous reprenons la route. Il est près de 15h. Je perds la semelle d’une de mes chaussures. Je suis obligée de mettre une autre paire de chaussures, mal adaptée pour la marche surtout qu’il faut enjamber des ponts faits des troncs parfois lisses. Malgré cela, nous continuons notre progression et arrivons à Mandomba, là où nous avions passé la nuit à l’aller. Nous profitons pour donner quelques coups de téléphone et lorsque nous repartons, il est environ 16h30. Il y a beaucoup de bambous depuis que nous nous rapprochons de la rive. Le paysage est différent et les bambous forment des véritables bouquets de part et d’autres de la route. Nous arrivons à une suite des ponts, tous en très mauvais état, et leur passage n’est pas facile. Pendant que nous nous débattons pour passer, quelques très jeunes enfants, d’environ 4 à 5 ans passent nus avec agilité et allégrement en sens inverse. Je suis en admiration devant leur assurance. La nuit tombe alors que nous sommes toujours en pleine forêt et je suis épuisée. Nous entrons enfin dans Ngonzi-Rive. Nous nous dirigeons vers l’école située près de la rive où un membre de famille allait nous héberger. Fatigués, exténués, nous nous effondrons dans les fauteuils traditionnels. Nous sommes bien accueillis et après avoir pris un bain, et un repas chaud, nous nous jetons épuisés, sur nos couches.

Le matin, à partir de 6h, les démarches commencent pour trouver une pirogue pour aller à Lisala. Les deux neveux nous quittent à cet endroit et reprennent la route de retour au village. Il est 7h lorsque j’embarque avec Elie dans une pirogue, un peu plus petite que celle de « maison-mère » qui nous avait conduits à l’aller. Nous amenons deux fauteuils que nous plaçons dans la pirogue, l’un pour Elie et l’autre pour moi. Le piroguier a le devoir de les ramenez chez le propriétaire qui est connu de lui. Deux autres passagers sont à bord dont l’un, pour payer sa traversée, va pagayer à l’avant tandis que le piroguier à l’arrière. A peine commençons-nous à nous éloigner du rivage que l’on réalise qu’il y a de l’eau qui pénètre dans la pirogue. Je regarde avec inquiétude cette eau qui commence à pénétrer dans mes chaussures. Elie me sourit et me tranquillise. Effectivement, le piroguier avance sa pirogue le long du rivage et tout en pagayant, nous nous rapprochons de la rive. Il vide l’eau qui est dans la pirogue et ensuite ramasse de la terre claire de la rive dont ils se servent pour coller les fentes de la pirogue. Il le fait avec dextérité, prélève un peu de terre pour constituer une réserve et s’éloigne tranquillement du rivage. Je réalise qu’effectivement, il n’y a plus d’eau qui pénètre ! Inouï ! Tout est réellement dans la nature, il suffit d’en avoir la connaissance. Comme à l’aller, le fleuve est tranquille. J’allonge mes jambes, encore meurtries par le voyage à vélo et je contemple le fleuve. Nous avons un véritable joyau que nous ne savons pas exploiter. Je réalise que la pirogue ne prend pas le grand fleuve, on me dit que le courant du fleuve arrivant en sens inverse, on ne peut l’affronter de face, sans demander beaucoup d’énergie au pagayeur, d’où la courbure que nous suivons. Alors qu’il faisait assez frais au départ, le soleil cette fois commence à lancer ses rayons. J’ouvre mon parapluie qui me sert de parasol et porte mon bonnet. Enfin, la pirogue accoste à Ebele, à 5 ou 6 km de Lisala, juste à l’endroit où un bateau transportant des grumes a coulé il y a deux mois, me dit-on. Toute la coque flotte et les grumes se trouvent au fond du fleuve. On longe ensuite la côte, le piroguier garde son rythme, et nous avançons lentement. Il faut seulement être vigilant car il y a des mouches tsé-tsé. Je réclame en vain que l’on s’éloigne de la rive. Il est 12h30 lorsque nous accostons enfin à Lisala, grillés par le soleil. Un peu plus de 4h pour effectuer 9km qui séparent Ngonzi-Rive de Lisala ! En dehors de la fatigue que tout le corps accuse, c’est un beau voyage que nous venons de faire !

Nous déposons le porcin chez une connaissance au port, Elie attache le reste de bagages sur son vélo et contourne la longue route sinueuse et en pente qui conduit au centre ville. De mon côté, j’escalade des nombreuses marches, réservées aux piétons, marches entamées par le temps et les intempéries et non entretenues, comme tout le reste, par l’administration. Je ne puis déterminer le temps que cela m’a pris pour arriver au sommet, mais c’est à bout de souffle que j’achève la montée. Je n’aperçois pas encore Elie qui est certainement en train de pousser son vélo mais comme je connais le chemin qui mène à l’évêché où nous avions réservé ma chambre, c’est d’un pas plus ferme que j’accomplis le trajet qui me reste à faire. En arrivant à l’évêché, j’aperçois au loin Elie qui arrive sur son vélo.

Quel voyage ! Ma chambre est là, qui m’attend. Ils n’avaient pas eu de client depuis notre départ. C’est avec plaisir que je prends un bain pour me remettre en forme. Nous nous rendons ensuite à l’agence Air Kasaï, située non loin de l’évêché, pour confirmer notre voyage pour le lendemain, le samedi 7 janvier et ce n’est que le matin qu’on nous informe que le vol est reporté au dimanche. Je profite de la journée de samedi pour visiter un peu la ville et faire quelques achats au marché. Nous achetons du poisson frais pour notre repas et quelques poissons fumés à emporter à Kinshasa. Lisala connaît une érosion monstre qui menace d’emporter une bonne partie de la ville située sur une colline et donnant sur le fleuve. Elle me rappelle un peu la ville de Bukavu où je suis née. Le climat est bien sûr différent car nous sommes ici sous l’Equateur et il y fait très chaud. Le dimanche matin, Elie est déjà là pour m’aider à apprêter les bagages pour le retour. Je regrette de devoir rentrer si vite. Il faudra que je revienne rapidement. Nous libérons l’appartement et passons par le couvent pour dire au revoir aux religieuses et les remercier pour l’accueil. C’est encore à vélo que nous nous rendons à l’aéroport, seul moyen de transport disponible ! Elie transporte les bagages et je prends place à l’arrière d’un vélo qu’on a loué. C’est la montée. Il faut descendre du vélo et marcher quelques mètres à pied et ensuite remonter à vélo. On voit au loin notre avion qui atterrit. Heureusement que nous ne sommes plus loin. On pédale vite pour ne pas rater l’avion. Enfin, nous arrivons au parking de l’aérogare. Je suis presque en nage. Nous pénétrons dans le hall d’entrée et Elie m’aide pour les formalités de départ. Les passagers ne sont pas nombreux. Je dis au revoir à mon cousin Elie. Il pourra enfin se reposer. Les passagers sont appelés pour l’embarquement. Je me dirige vers l’avion et me retourne. Elie est juste à l’endroit où je l’ai laissé. Il a l’air triste. Je lui souris en ne pesant qu’à la belle expédition que je venais de faire à la découverte des miens. Dis minutes plus tard, l’avion Fokker de la Compagnie Air Kasaï prend son envol pour Kinshasa via Mbandaka, capitale de la province de l’Equateur.

Quelques renseignements utiles Le District de la Mongala, dans la province de l’Equateur, comprend 3 territoires :
  Territoire de Lisala
  Territoire de Bumba
  Territoire de Bongandanga.

Dans le territoire de Bongandanga, Il y a 4 secteurs :

  Secteur Boso-Simba
  Secteur Boso-Ndjanoa
  Secteur Boso-Melo
  Secteur Botewa.

Le Secteur de Boso-Ndjanoa est composé de 8 groupements : Bombele Likele, Boso-Tokia, Kodoro, Bogbonga, Bombati, Bobende, Boso-Likolo, Likenge, Boswa, Mowaka, Bombale, Bodende-Rive, Bombati, Erenge, Boso-Ndjomokina, Boso-Kema, Babale, Bombele.

Dans le groupement Bogbonga, il y a 17 localités : Boso-Dongo, Bosolo, Boso-Mombuku, Boso-Ndjanoa village, Boso-Ebia, Boso-Masale, Bokote, Boso-Pela, Boso-Mosuka, Boso-Mayale, Boso-Huni, Boso-Eleko, Boso-Gbale, Kabu-Kabu, Ngonzi-Terre, Boso-Ngebe, Boso-Molenge.

Cependant, administrativement, Il n y a que 14 localités et le partage de quelques unes a été dû :

  A un conflit familial, tel est le cas de Boso-Mombuku, qui est un clan de Boso-Ndjanoa village ainsi que Boso-Eleko qui est un clan de Boso-Huni,
  A un conflit forestier, tel est le cas de Boso-Mosuka qui est un clan de Boso-Mayale.

Nota Bene

Trois sociétés d’exploitation sont installées dans le seul secteur de Boso-Ndjanoa :

  SOKINEX Monjolongo, qui a exploité Boso-Likolo, Bobende, Boso-Huni, Boso-Mayalé (d’où est né le conflit avec Boso-Mosuka)
  SAFO Kubulu (dans le secteur de Boso-Simba, dont elle n’exploite pas la forêt !), qui exploite la forêt de Boso-Ndjanoa par Boso-Tokia, Bombele, Elle a également commencé l’exploitation de la forêt de Boso-Mosuka, exploitation que nous combattons.
  SIBOIS de Mowaka, qui a exploité entièrement les forêts des groupements de Mowaka et Bombale.

Dans tout le secteur, seule une partie de la forêt de Boso-Mosuka est encore intacte On peut se demander ce qu’a été le bénéfice de ces exploitations pour la populatiion du secteur.

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